Article rédigé pour le blog Collectivités et Territoires sur le site Expertublic.fr (article original ici)
La loi de réforme des collectivités territoriales (loi RCT du 16 décembre 2010) a mis en place de nouveaux mécanismes de mutualisation des ressources au sein des établissements publics de coopération intercommunale, dont la possibilité de mettre en place une « DGF territoriale ». Instituée par l’article 70 de la loi précitée, elle permet à l’EPCI de recevoir en lieu et place de ses communes membres leurs DGF et de procéder à une répartition selon ses propres critères, sous certaines réserves.
Article 70, Loi RCT :
« Afin de permettre une mise en commun des ressources, un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre peut percevoir, en lieu et place de ses communes membres, les montants dont elles bénéficient au titre de la dotation globale de fonctionnement prévue aux articles L. 2334-1 et suivants, sur délibérations concordantes de l’organe délibérant et de chacun des conseils municipaux des communes membres.
L’établissement public de coopération intercommunale verse chaque année à l’ensemble de ses communes membres une dotation de reversement dont le montant global est égal à la somme de leurs dotations globales de fonctionnement.
Le montant individuel versé à chaque commune est fixé par l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés. Il est calculé en fonction de critères tenant compte prioritairement, d’une part, de l’écart entre le revenu par habitant de la commune et le revenu moyen par habitant de l’établissement public de coopération intercommunale et, d’autre part, de l’insuffisance de potentiel fiscal par habitant de la commune au regard du potentiel fiscal communal moyen par habitant sur le territoire de l’établissement public de coopération intercommunale.
Cette dotation de reversement constitue une dépense obligatoire de l’établissement public de coopération intercommunale. »
Plusieurs points caractérisent cette DGF :
- Institution à l’unanimité du conseil communautaire et des conseils municipaux,
- Choix des critères de répartition à la majorité renforcée (2/3) du conseil communautaire,
- Une répartition de l’ensemble de la DGF (forfaitaire et aménagement),
- Une répartition en fonction prioritairement du revenu à l’habitant et du potentiel fiscal,
- L’EPCI a un rôle de « caisse de redistribution » : il doit répartir l’intégralité des DGF entre les communes.
Ainsi, sur décision à l’unanimité de l’EPCI et de ses communes membres, la DGF des communes peut être « territorialisée », c’est à dire perçue par l’EPCI. Celui-ci devra alors la reverser dans son intégralité à ses communes membres, selon des critères qu’il peut librement définir, mais qui devront prioritairement tenir compte de l’écart de revenu à l’habitant et de l’insuffisance de potentiel fiscal à l’habitant. Nous retrouvons un mécanisme assez proche de la répartition de la Dotation de Solidarité Communautaire : une répartition « libre » mais prioritairement en fonction de critères de richesse. Si la notion de prioritairement est toujours assez mal définie, il semble qu’il faille, par mesure de prudence, entendre prioritairement comme majoritairement.
Nous en oublions presque de définir le plus important. Qu’est-ce qui est répartit ? La DGF prévue aux articles L.2334-1 du CGCT et suivants : « Une dotation globale de fonctionnement est instituée en faveur des communes et de certains de leurs groupements. Elle se compose d’une dotation forfaitaire et d’une dotation d’aménagement. […]». Ainsi, la territorialisation de la DGF revient à répartir entre toutes les communes leur dotation forfaitaire et leur dotation d’aménagement (DSUCS, DSR, DNP). Cette mesure vient constater la difficulté qu’à l’Etat à organiser une péréquation de grande ampleur, et propose de transférer cette tâche aux EPCI, qui pourront utiliser l’ensemble de la DGF des communes (dotation forfaitaire et dotation d’aménagement) pour la répartir au mieux en fonction de critères péréquateurs.
Ce serait un acte fort de la part des communes bénéficiaires de dotation d’aménagement (DSUCS, DSR, DNP) de s’engager dans une telle voie, et ce pour deux raisons.
Tout d’abord, le partage de la DGF territoriale ne revient-il pas à assurer le partage entre toutes les communes de l’EPCI de la dotation d’aménagement ? En effet, toutes les communes bénéficiant d’une dotation forfaitaire, bien qu’à des niveaux parfois éloignés du fait de la dotation de compensation et de l’importance de la population (coefficient multiplicateur de la dotation forfaitaire), la mutualisation de la DGF pourrait conduire à partager la ou les dotations d’aménagement entre toutes les communes. Si chaque commune apporte au pot commun une dotation forfaitaire, et qu’une des commune du groupement apporte sa dotation forfaitaire et sa dotation de solidarité urbaine, qui pensez-vous à le plus à perdre ? D’autant plus que si l’unanimité des communes est requise pour l’adoption de la mutualisation des DGF communales, le choix des critères relève lui du seul conseil communautaire, à une majorité certes des 2/3. On pourrait objecter qu’une commune bénéficiaire de la DSUCS serait justement prioritaire pour bénéficier de cette DGF territoriale. Sauf que la DSUCS est soumise à éligibilité (seuil des 10.000 habitants, mais aussi proportion de logements sociaux, proportion d’APL au travers de l’indice synthétique).
Aussi, les critères devront être bien choisis pour arriver à un résultat « acceptable ». Sauf que la répartition doit se faire prioritairement (majoritairement ?) en fonction du revenu à l’habitant et du potentiel fiscal (le texte mentionne bien le potentiel fiscal et non le potentiel financier). Se pose donc à nouveau la question de l’interprétation de la notion de prioritaire : une répartition à 51% en fonction du revenu à l’habitant et du potentiel fiscal à l’habitant, mais dont les 49% restants inversent la tendance respecte-t-elle la loi ?
Le second point est le changement annoncé du potentiel fiscal et financier. On peut d’ailleurs s’étonner que le texte de loi fasse référence au potentiel fiscal et non au potentiel financier, largement utilisé y compris pour la répartition des dotations de péréquation. Ces deux critères pourraient bien être à nouveau réformés en projet de loi de finances pour 2012. Les discussions sur la réforme du critère de mesure de la richesse ont été réalisées sans simulations, l’administration ne disposant pas de données post-réforme (CVAE, impositions transférées, DCRTP, FNGIR,…). Les discussions parlementaires ont montré qu’il est prévu d’ajuster la définition des potentiels fiscaux et financiers à l’occasion du projet de loi de finances pour 2012 au vu des simulations à produire cet été par la DGCL.
Dans ces conditions, l’institution de la DGF territoriale doit être mûrement réfléchie et simulée. Plutôt que de la précipitation, il est urgent … d’attendre.